Imaginez la tête du conducteur du train des Pignes lorsqu’on lui annonça qu’il allait devoir immobiliser sa ”Rossinante” (je ne sais pas pourquoi, je ne peux m’empêcher de penser que les conducteurs de train, dans tous les pays du monde, donnent toujours un petit nom affectueux à leur locomotive) à l’arrêt “Gare de la Tinée”. Au vrai, je suis même sûr qu’il ne souvenait pas qu’il y eût jamais eu un arrêt qui se nommât ainsi…

Pareils à Spencer Tracy (dans “Bad day at Black Rock”) mais un peu plus nombreux, nous descendîmes du train pour poser les pieds sur un quai de gare où le moins que l’on puisse dire est que nul ne nous attendait. Une brise de vallée, à la mine glaciale, s’en vint comme un sinistre émissaire nous signifier qu’il n’était pas question que nous restassions là. Nous fûmes surpris de découvrir que, tout sinistre qu’elle fût, son ambassade avait au moins la correction de respecter la concordance des temps et de mettre un imparfait du subjonctif là où il fallait qu’il y en eût un. Sur ces entrefaites, donc, nous prîmes notre jambe à nos cous et nous en fûmes, vexés mais néanmoins admiratifs, pour gagner la rive opposée du Var où il n’était pas possible que nous reçussions un accueil moins accort.

Dans le vallon des hirondelles, nous volâmes, littéralement. Un autre monde s’ouvrait à nous. Un arbre à perruque, tout attifé de sa blanche coiffe, nous fit la révérence. Un chêne, plusieurs fois centenaire, nous accueillit au creux de son tronc aux formes baroques et sous son plumage réconfortant. Maints champignons, dressés dans les mousses verdoyantes, ôtèrent devant nous leur chapeau. Nous ne les cueillîmes presque pas. Et puis nous fûmes bientôt en haut. D’où nous finîmes par redescendre. Car nous avions un bus en retard à attendre…